Chester Barnard est l’un des hommes qui a le plus influencé le management au XXe siècle. Inconnu en France, celui qui est aussi à l’origine de la RSE a pourtant formulé des notions particulièrement importantes dans la motivation des équipes et la notion d’efficience.
Dernièrement, et face à la difficulté pour les entreprises d’embaucher et de transmettre une forme d’engagement à leurs nouvelles recrues, nous avons pensé à aller chercher dans la littérature économique pour répondre à ce challenge. Aussi, nous avons demandé à Google combien de personnes étaient satisfaites de leur travail, en pourcentage.
Selon les sondages, 77% des français se disent satisfaits de leur travail mais en creusant, seuls 45% des français recommanderaient leur entreprise à des proches pour y travailler et seulement 8% des français sont heureux d’aller au travail tous les matins. (Sources Europe 1, HR Voice et IFOP)
1. Motiver ses salariés après une crise économique
De l’autre côté de l’Atlantique, si les Américains envient les conditions de travail des Français, leurs statistiques sont impressionnantes. Avec des licenciements sous 15 jours sans ouvrir de droit au chômage, le fait qu’ils n’ont que 10 jours de congés payés et travaillent 40 heures par semaine, ils sont en théorie les plus susceptibles de se plaindre.
Pourtant, une enquête de 2023 révèle que 20% sont passionnés par leur profession et 49% se disent très satisfaits de leur travail. Au total, 65% des américain sont très contents de leur situation professionnelle (sources Zippia)
Pour expliquer un tel écart entre les ressentis, il faut mentionner un livre qui a marqué et influencé la gestion des ressources humaines aux Etats-Unis dès le début du 20ème siècle : The Functions of the Executives écrit par Chester Barnard.
Les concepts de The functions of the Excutives ont été considérés par Kenneth Richmond Andrews (l’économiste à l’origine de la notion de stratégie d’entreprise) comme les plus intéressants en matière de management jamais publiés par un dirigeant. Ce fameux livre, que l’on peut traduire en français Le rôle de l'exécutif - a été rédigé par Barnard, un ancien diplomé en économie de Harvard qui a été nommé à 41 ans Président d’une énorme entreprise américaine : l'American Telephone & Telegraph, aujourd’hui plus connue sous le nom d’AT&T.
La publication de "The Functions of the Executives" intervient à un moment clé de l’Histoire : juste après l’énorme crise financière de 1929. Pour rappel, au début des années 1920, les travailleurs américains modestes qui croient au rêve de fortune se voient donner l’occasion d’investir en bourse. Pour ces petits épargnants, cette opportunité va se transformer en cauchemar. Des traders malhonnêtes ont profité de l’ignorance de ces travailleurs américains pour s’enrichir à leurs dépends, plongeant le pays dans la plus grande crise financière qu’il n’ait jamais connu. Les grands dirigeants sont informés du risque économique imminent mais détournent le regard et ne font rien pour prévenir la réaction en chaîne.
Au moment où le séisme financier frappe le continent en plongeant ses ouvriers dans la misère, l’Amérique a besoin de remotiver ses ouvriers. Les salariés ne voient plus leur dirigeant comme un patron agissant en bon père de famille mais comme la personne responsable de leur misère. Pendant 10 ans, Barnard va donc observer, tester et retranscrire les mécanismes qui lui ont permis de remotiver ses équipes.
En 1938 sort enfin son livre, parfois décrié, souvent plébiscité. On vous résume en bref un ouvrage qui n’a malheureusement jamais été traduit en français.
2. Laisser ses équipes prendre part à la construction de l'entreprise
- La première idée décrit la théorie de la coopération au sein d’une organisation
- La deuxième idée, le rôle des décideurs dans cette organisation
Dans ses observations, Barnard remarque l’importance des interactions entre les différents groupes d’une firme : comment est-ce que les différents départements échangent, comment se comportent les clients à l’égard des commerciaux, les sous-traitants à l’égard des équipes techniques, etc.
Il est donc le premier à évoquer l’importance des parties prenantes dans la notion d’efficience. Selon lui, pour qu’une corporation optimise son fonctionnement et connaisse le succès, il faut que :
· La direction communique de façon transparente et adaptée à chaque partie prenante : qu’elle leur explique les priorités de l’entreprise, ses valeurs, qu’elle présente les grands projets à venir, etc.
· Les parties prenantes et notamment les salariés adhèrent aux valeurs et aux projets à venir portés par le dirigeant
· Les projets soient clairs, correctement définis et soutiennent les intérêts communs de toutes les parties prenantes.
Il est le premier à évoquer l’importance d’identifier des petits objectifs communs aux différentes personnes impliquées dans l’entreprise et de fixer constamment de nouveaux projets dans le but d’une amélioration continue, un principe qu'un label RSE doit encourager et prendre en compte. Par exemple, il s’agit de laisser les commerciaux travailler avec les techniciens pour créer un nouveau produit ou de laisser des salariés travailler avec les ressources humaines pour organiser un événement, etc.
Il remarque donc que ces petits projets, qui ont vocation à dynamiser les activités de l’entreprise, doivent respecter 4 éléments :
· que le salarié, ou la partie prenante, comprenne là où le dirigeant veut amener son entreprise ; que les messages véhiculés par la direction soient clairs dans le fond et dans la forme
· que cette communication ou ces petits projets, au moment où ils sont formulés, ne soient pas perçus comme allant à l’encontre des intérêts de l’entreprise
· que ces projets n’aillent pas à l’encontre des intérêts personnels des salariés : par exemple, si le but de l’entreprise est de diminuer ses émissions carbone et qu’elle demande à ses salariés de se déplacer uniquement en vélo à partir de demain, comment est-ce que l’entreprise met en place cela sans que le salarié n’ait la sensation de perdre en qualité de vie
· que la partie prenante concernée par la décision soit mentalement et physiquement en mesure de l’exécuter : si on demande à des salariés de travailler sur de nouveaux projets personnels, il ne faut pas qu’ils se sentent oppressés, jugés ou incapables.
3. Mettre en place des récompenses pour motiver ses salariés
Dans ce livre, Barnard rappelle que le rôle le plus important du dirigeant est de savoir correctement communiquer les objectifs pour que les salariés soient proactifs. Pour qu'ils prennent part au succès de l'organisation, il faut mettre en place des « incentives ». Curieusement, le mot « incentives » n’a pas d’équivalent en français mais il veut dire à la fois “récompenses” et “formes de motivation”.
Les incentives peuvent prendre différentes formes en fonction des attentes individuelles. Elles peuvent être d’ordre matériel (salaire, voiture de fonction, ticket restaurant) et/ou de des « bienfaits moraux » ideal benefaction : qui sont des félicitations, remerciements, encouragements, promotions, appartenance à une communauté, etc.
Pour lui, ces éléments sont indispensables pour que les salariés respectent le leader et participent pleinement au succès de l’entreprise. C'est un donnant-donnant qui ne se limite pas au salaire mais offre au salarié l'occasion de se sentir fier (valeurs), responsabilisé (montée en compétence) et engagé au sein d'une communauté (l'entreprise).
La « zone d’indifférence » dans la motivation des salariés
Barnard remarque que les individus ont une zone dans laquelle ils sont en mesure d’accepter une décision sans la remettre en question. L’étendue de cette zone d’indifférence dépend des bénéfices que nous percevons par rapport aux efforts à fournir : les bénéfices peuvent prendre la forme de reconnaissance du statut social, du salaire ou de la rémunération mais aussi de la contribution à la société et de la gratification de cette contribution apporte.
En résumé, l’idée est que plus une personne aura l’impression de tirer des bénéfices de l’entreprise (matériels ou moraux) plus celle-ci sera encline à accepter des décisions sans les remettre en question. Par opposition, moins cette personne aura le sentiment de tirer des bénéfices et de faire des efforts au quotidien, plus cette personne remettra en cause les décisions des dirigeants. L'engagement d'une entreprise sur le volet social et sa contribution à la lutte contre les formes de pollution peuvent remotiver les salariés. Seulement cette volonté doit être clairement exprimée par le dirigeant et suivie de moyens concrets humains et financiers pour appuyer cette vision.
Barnard note par ailleurs que moins les individus sont consultés et inclus dans les activités et les buts de l’entreprise, plus la zone d’indifférence sera réduite et ils seront prompts à remettre en question les décisions.
4. Garantir la bonne gouvernance pour renforcer l’autorité de la position
L’économiste note que les personnes respecteront la décision en fonction du rang managérial de la personne qui donnera cette décision mais aussi en fonction du leadership naturel de cette personne. Plus le décideur aura un rôle hiérarchique élevé et une capacité naturelle à fédérer, moins les individus seront enclins à remettre l’ordre en question. Pour mettre toutes les chances de son côté, le décideur doit s’assurer des deux pour chacun de ses managers. Le leadership s'acquiert avec la compétence (qui renforce la confiance), les valeurs incarnées par cette personne et les "softs skills".
Le dirigeant devra donc prendre en considération ces aspects dans sa gouvernance et encourager la diversité pour augmenter sa performance.
Enfin, dans son dernier chapitre, « la nature de la responsabilité de l'exécutif » Barnard note que la coopération doit être à l’origine du processus créatif qui portera de nouveaux projets au sein de la structure. Ces nouveaux projets ne doivent pas être la décision de l’exécutif seul. Les managers et l'exécutif seront chargés de coordonner la coopération entre les parties prenantes dans l'intérêt de l’entreprise et de chacune des parties prenantes. Il note par ailleurs que la qualité morale du leader est indispensable pour le succès de l’entreprise. Plus les leaders feront preuve de moralité, plus les parties prenantes seront en mesure de supporter la stratégie, des temps durs et de contribuer au succès.
Aujourd’hui en matière de RSE, le changement du comportement est l’élément le plus compliqué à mettre en place en entreprise. Si les directions, poussées par la réglementation, souhaitent mettre en place des mesures durables approuvées par leurs parties prenantes, Rate A Company a une série de solutions pour garantir le succès de cette approche.
The Functions of the Executives est considéré comme l’un des ouvrages les plus révolutionnaires en matière de management par les économistes outre-Atlantique. Il a tracé la voie du pilotage d’équipe dans les entreprises américaines. Il a d’ailleurs été réédité en 1968, à un autre moment-clé de l’histoire des Etats-Unis. Pendant cette période, le dialogue entre les dirigeants conservateurs et la jeunesse américaine est rompu, remettant de nouveau en question la pérennité des affaires.
Le saviez-vous ? Chester Barnard est aussi l’homme qui a commandé le premier ouvrage reconnu de la RSE, la Responsabilité Sociétale du Businessman d'Howard Bowen, ouvrage qui a posé les jalons de la notion de développement durable au sein des entreprises pour les années à venir.
Le saviez-vous ? Barnard est considéré comme étant une figure du management et se distingue de certains autres économistes avec notamment, sa redéfinition bien personnelle du terme Efficiency, ou encore efficience en français ; cet anglicisme qui fait référence à la capacité à produire. Pour lui, la production est directement corrélée à la motivation des individus: les fameuses parties prenantes.
Le saviez-vous ? Le vocabulaire est particulièrement important dans la culture d'un pays. Outre le manque de traduction pour "incentives", on peut noter aussi l’absence d’équivalent pour le terme « empowerment » le fait de “redonner confiance à quelqu’un” et le pouvoir qu’on lui confie temporairement.