Le principe de la double-matérialité de la CSRD expliqué facilement

Le principe de la double matérialité de la CSRD expliqué par Rate A Company

 

Cet article est le premier d’une série de 5 articles qui permettent de comprendre facilement la double-matérialité. En regroupant toutes les sources et documents de l’EFRAG, nous avons donc simplifié et illustré les concepts pour permettre de réaliser une analyse de matérialité qui non seulement borde les risques, mais identifie aussi les opportunités.

La matérialité financière est connue depuis des années : comment est-ce que l’évolution des prix des matières premières, de la main d’œuvre, de l’énergie, etc. impacte mon chiffre d’affaires et les dividendes que je vais pouvoir me verser ? Comment gérer la fluctuation de mes coûts alors qu’à chaque fois que je les augmente, je prends le risque de perdre mes clients ?

 

La considération des fluctuations extérieures est l’un des éléments à prendre en compte dans la double-matérialité. Car depuis quelques années, des risques imprévus tuent des entreprises (voir le saviez-vous en fin d’article). Des incidences indirectes comme des inondations, des tensions sociales, des crises géopolitiques ou encore des politiques commerciales trop agressives se « matérialisent » et impactent concrètement la capacité à générer des profits. 
 
Ces épiphénomènes contextuels pourraient paraître anecdotiques. Pourtant, les acteurs financiers ont estimé que leurs interconnexions et les occurrences étaient suffisamment fréquentes et présentaient suffisamment de risques pour justifier des actions publiques, y compris par la voie règlementaire. Avec l’ambition de générer toujours plus de revenus, les directions ont pris l’habitude d’accélérer la voilure alors même que le contexte présente plus d’obstacles et que les tendances changent plus vite, opacifiant les perspectives à moyen et long terme. Le moindre imprévu sur la route peut faire couler le navire. On a tous vu Titanic. 

Une fermeture d’établissement ou même sa baisse de résultats entraine dans sa chute des centaines, voire des milliers de salariés et d’entreprises par effet cascade. Sans compter sur les ressources utilisées qui réduisent les capacités auto-régénérantes des sites naturels pour agrandir des décharges stériles. Cette absence de vision globale et de maîtrise de l’environnement entraîne donc bien des conséquences matérielles.

Illustration de la double matérialité ou matérialité de la CSRD


 

Nous allons essayer de comprendre en quoi est-ce que la CSRD, basée sur les principes de RSE plébiscités il y a 70 ans dans les grandes écoles de commerce anglo-saxonnes va réussir à nous faire prendre conscience des enjeux avec le concept de double-matérialité, afin d’opérer les changements nécessaires.

Avant toute chose, la CSRD a le mérite d’adresser la question : quelle est la part de responsabilité des entreprises dans les équilibres et déséquilibres planétaires ?

Et aussi : si les entreprises sont responsables, comment peuvent-elles contribuer de façon positive et non négative?

Mais d’abord, pour comprendre la CSRD, il faut répondre à la question suivante:

 

1. Quelle est la différence entre « matérialité » et « double matérialité » dans la CSRD ?

Aucune.
Avec la CSRD, la notion de « double-matérialité » ou encore l’évaluation des conséquences de nos activités sur notre qualité de vie devient progressivement « la matérialité ».
 
Comme si en 2023, on découvrait que nous dépendions de notre planète et de ses habitants dans les paradigmes qui constituent notre économie mondiale. Un retour aux sources, en somme.
Les termes « Double-matérialité » et « matérialité » sont donc utilisés indifféremment dans la CSRD. 

 

2. La définition de la double matérialité selon la CSRD

« La double matérialité doit prendre en compte les impacts, risques et opportunités, réels ou potentiels, négatifs ou positifs de l’entreprise sur la planète. Ces matérialités (conséquences) doivent être mesurées en fonction de leur gravité sur les personnes ou l'environnement ; du nombre de personnes qui sont ou pourraient être affectées, de l'ampleur des dommages causés et de la facilité avec laquelle ce dommage pourrait être réparé en rétablissant l'environnement ou les personnes affectées à leur état antérieur. »

Pour la mesure des impacts en matière d’environnement, un outil a été mis en place après les accords de Kyoto en 1997. Le GHG Protocol permet, dès 2001, de coordonner une méthode de mesure d’émissions carbone et ses équivalents (autres gaz). Cette méthode inspira l’Ademe à déposer la fameuse marque « bilan carbone » en 2004, imaginée pour transformer cette impulsion écologique internationale en opportunité d’affaires en France.

La CSRD retiendra néanmoins la méthodologie du GHG Protocol, reconnue à l’international. Cette méthodologie permet la même efficacité que la méthode française, tout en étant plus simple à appréhender selon les experts européens.

Cette volonté de monétiser à tout prix une collaboration scientifique mondiale pourrait être un exemple de la matérialité : quelles ont été les recettes de cette privatisation pour l’Ademe, par rapport aux coûts de développement et de 20 ans de retard sur la sensibilisation au dérèglement climatique? En prenant du recul pour voir l’ensemble des IRO, est-ce que les dépenses publiques actuelles de l’Ademe pour inciter à la transition auraient pu être transformées en opportunités économiques si la France était devenue très tôt leader sur les innovations technologiques bas carbone ?

 

3. L’analyse de la double-matérialité permet de comprendre la RSE dans sa globalité

Avec la CSRD, on réalise que le climat n’est seulement qu’une des urgences à traiter. Plastiques dans les océans, pollution des sols, mal-être au travail, épidémies, problèmes d'attention, appauvrissement des populations occidentales… Le modèle d’une classe moyenne universelle et prospère des années 50 n’est plus. Un constat qui a poussé certains à voter pour “Make America Great Again”, sur la base d'un raisonnement erroné.
 
La nouvelle réglementation européenne ouvre donc les yeux de ceux qui pensaient que la mesure carbone était seule suffisante pour déclarer une entreprise « responsable ». Afin de bien comprendre les risques systémiques auxquels nous faisons face, la CSRD liste les paradigmes à adresser dans ses ESRS et ses sous-catégories.

Car nos décisions ont des intrications multiples : les méthodes de production, les stratégies de vente, les comportements d’achat, l’utilisation et le traitement des matières premières, le réemploi et la réparabilité des équipements, l’éthique et les valeurs dans nos comportements, etc.
 
Dans un monde interconnecté, on est en train de rapidement voir les limites du postulat de Milton Friedman. En effet, dans les années 70, Friedman déresponsabilise les gouvernements et décomplexe les hommes d’affaires en déclarant que l’unique but d’une entreprise devrait être de maximiser ses revenus afin d’augmenter les dividendes de ses actionnaires. Les équilibres de la période progressiste qui s’étaient mis en place dans les années 30 et qui conduisirent à l’essor de la classe moyenne, sont renversés.

Alors que Friedman haranguait dans les années 1970 l’importance du désengagement, on voit déjà les conséquences de cette doctrine. Cet économiste récompensé remporta pourtant un franc succès, se faisant l’écho d’une génération touchée par un certain contexte. Dans les années 1960-1970, nous sommes en pleine Guerre froide. Les habitants de cette planète pensent qu’elle peut s’arrêter à tout moment avec l’arme nucléaire. Les dogmes économiques changent, y compris en politique et dans les manuels économiques ; il faut consommer à tout prix avant qu’il ne soit trop tard. Chacun pour soi, servez-vous. Demain ne sera peut-être pas. Voilà un contexte qui se matérialise très simplement sur les ventes.

Seulement aujourd’hui, on réalise que la vie continue et que cette posture engendre des risques majeurs. Des risques que les théories RSE avaient anticipés dès le début du 20ème siècle. Car ce qui avait mené au succès économique et culturel de la France au XIXe et des Etats-Unis au XXe sont bien les valeurs progressistes. L’accès à tous à ce fameux ascenseur social, l’ouverture de l’art aux classes populaires, la protection des ouvriers, le droit de vote et l’accès à l’éducation des femmes, la protection des enfants et la généralisation de l’école, l’accès des ouvriers à des produits réservés jusque-là aux élites. Des cocottes de Paris aux jeunes entrepreneurs ambitieux, les anciens codes fatalistes sont bousculés et tout le monde semble avoir sa chance, peu importe les conditions de naissance. Ces valeurs inspirent et donnent des ailes. Littéralement puisqu’en 1938, Superman apparaît, suivi par des dizaines de superhéros. L’idée d’une personnalité qui se sacrifie pour le “greater good”, comprenez le bien collectif sont des valeurs qui plaisent et s’exportent partout dans le monde. Ce sont bien les valeurs morales universelles ont fait le succès culturel de la France, de l’Europe puis des Etats-Unis sur la scène internationale.

Des notions qui ont nourri les fondement de la RSE et que l’on espère réinsuffler pour tenter de ramener un peu de bon sens, de créativité, de motivation, de durabilité et de prospérité.

 

Le principe de bon sens est régulièrement repris dans la CSRD. L’entreprise doit ainsi faire preuve de clairvoyance pour évaluer l’ "IRO" de chaque activité. IRO est l’acronyme de : IMPACT, RISQUES, OPPORTUNITÉS et revient très souvent dans les documents de la CSRD.

L’implication des parties prenantes est décisive dans l’analyse de la matérialité. La double-matérialité se base donc sur l’analyse des causes-conséquences dans un contexte particulièrement complexe. L’implication des parties prenantes permet non seulement de mieux mesurer les causes et les conséquences et d’envisager des scénarios qui jusque-là auraient pu échapper à la direction, mais aussi de travailler sur les comportements quotidiens. C’est cette compétence qui est particulièrement maîtrisée par Rate A Company depuis 2015.

Pour réaliser la double-matérialité, il faut donc que l’entreprise se base sur les IRO de chaque ESRS et leurs sous-catégories. Pas de panique, la méthodologie est détaillée dans le 3ème article (voir ci-dessous). En résumé, si l’un des piliers, ou ESRS n’est pas considéré comme matériel, donc comme n’affectant pas l’entreprise ou la planète, il n’aura pas à être traité en détail. En raison de l’urgence à traiter le dérèglement climatique (rappelez-vous : l’urgence date de 1997), quand il s’agit de l’ESRS E1 sur les émissions de CO2, l’entreprise doit néanmoins justifier en quoi elle considère qu’il n’y a pas de matérialité. Et oui, toutes les organisations consomment à minima de l’électricité et demandent des déplacements, au moins pour se rendre sur leur lieu de travail.

 

Pour tout savoir de la double-matérialité, n’hésitez pas à aller chercher les articles suivants dans votre moteur de recherche :

1. Le principe de la double matérialité de la CSRD expliqué facilement

2. Le résumé des principes de la double-matérialité, les ESRS et leurs sous-catégories

3. Quelle méthodologie pour mesurer la double matérialité de la CSRD ?

4. L’importance de consulter les parties prenantes dans la double-matérialité

5. Les 3 étapes pour rédiger une analyse de matérialité de la CSRD

 

 

Le saviez-vous?

Les notions de matérialité ont été inspirées - entre autres - par le International Integrated Reporting Framework et l'article économique How ESG Issues Become Financially Material to Corporations and Their Investors? écrit par 3 américains, David Freiberg, Jean Rogers, George Serafeim en 2019. Dans leur introduction, ils notent l’absence d’éthique des affaires de Purdue Pharma, un géant pharmaceutique américain depuis plus d’un siècle et les conséquences désastreuses qui vont s'en suivre. Avec un marketing agressif pour vendre leur produit phare « OxyContin » sur 81 ordonnances sur 100, Purdue Pharma cause la mort par overdose de 400 000 américains. Les répercussions de cette politique commerciale agressive ont coûté 80 milliards de dollars annuellement, notamment en procès mais pas seulement. La firme a fini par déposer le bilan en 2023. Ceci est un exemple parmi d'autres des conséquences d'une cupidité destructrice.

RSE
CSRD - Corporate Sustainability Reporting Directive
Double matérialité
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